samedi 25 octobre 2014

La maison de mon Grand-Père

Quand j'étais petite, mon grand père avait une grande maison. En fait, c'était un manoir. Un manoir hérité de son père, qui lui même l'avait hérité de son propre père. L'histoire exacte s'est perdue, mais c'était un bien de famille, un manoir qui avait servi de lèproserie. Bon, ce n'était pas un manoir à l'anglaise, avec des tours etc. C'était un manoir breton, tout droit.
Ce manoir était exactement comme les vieilles maisons dans lesquelles se trouvent des passages secrets, des portraits étranges et des coffres à trésors. D'ailleurs il y avait deux passages secrets, des vrais, avec des portes dérobées et des passages dans les murs qui descendaient jusqu'au sous sol. Dans ces sous sols étaient accrochés des tableaux de famille bretons aux teintes brunâtres pas engageantes du tout. Il y avait un puits et un clapier à lapins aussi.

Non, ce n'était pas ce manoir là.Mais il y ressemblait.

Quand j'y repense, cette maison faisait flipper ma sœur comme pas possible. Moi je l'adorais (vu que j'ai toujours aimé ce qui faisait peur, ce n'était pas étonnant). J'aimais l'odeur d'humidité et de poussière, parce qu'il faut dire que c'était une grande bâtisse qui engloutissait tout l'argent de mon grand père dans les travaux de rénovation. Il y avait un escalier qu'on ne pouvait pas emprunter car il manquait plusieurs marches.
Mais c'était aussi une maison pleine de vie. L'été j'y allais pour les vacances, avec mes trois cousins. Nous dormions dans des alcoves. Des vraies alcoves, les placards en bois qui servent de lit. C'est bizarre, je suis claustrophobe, mais là dedans je me sentais en sécurité. Peut être parce que l'endroit était rassurant; il y avait des peluches, une lampe de chevet et des bouquins pour enfants. Que demander de plus?
Ma sœur ne voulait jamais y dormir, parce que, et c'était vrai, la maison était hantée. Souvent ma mère me racontait comment elle et sa sœur faisaient des soirées à poser des questions et à écouter les coups dans les murs. Je crois que c'est cette maison qui a réveillé en moi ce gout pour le mystère.

Et puis il y avait le grand jardin, habité par plein de chats, aux noms philosophes, comme Socrate, et puis le noir Arsène, mon préféré. Il était borgne, le pauvre. On organisait des spectacles, on allait à la plage et le soir on regardait des films style Mathilda, avec un chocolat chaud. Mes cousins avaient aménagé tout un mini village dans le jardin, avec des cours d'eau, des ponts et même une monnaie, faite de sève d'arbre.

Mon grand père l'a vendu. Je devais avoir dix ans. Je lui en ai beaucoup voulu. Mais plus maintenant.

J'ai longtemps rêvé de racheter ce manoir, j'attendais patiemment qu'il soit à nouveau à vendre. Je suis allée le revoir. Ce manoir est entouré de routes, le bitume a écrasé les champs. Ils ont rasé le puits et le clapier à lapins.

Voilà. J'écris cet article en mémoire de ce bel endroit, et aussi parce que je me rends compte que je suis à un tournant. Je vais moi même construire ma vie d'adulte, et désormais je sais que je vais devenir ce que cette petite fille voulait être, plus grande, quand elle rêvait dans cette belle maison pleine de mystères. C'est un petit réconfort, quand on sait que tous les moments heureux de mon enfance, je les ai vécus dans cette maison, et à l'abri de son ombre.

Et puis tout n'a pas disparu. Mes grands parents sont toujours là, et quand je passe les voir dans leur maison au bord de la mer, il y a toujours ces vieux portraits brunâtres pas très engageants. Mais maintenant il y a aussi des peintures de chats, ceux qui ne sont plus là. Il y a des bouquets de fleurs. Je sais que mon grand-père y est bien plus heureux.

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